Les sépultures du Premier Age du Fer autour du bassin
d’Arcachon et de la basse vallée de la Leyre
Compte-rendu d’un mémoire de maîtrise
sous la direction d’Anne Colin
Université de Bordeaux III, année
2004-2005
Par Mlle Bilbao Marie-Véronique
Introduction
La région du
bassin d’Arcachon est surtout connue pour ses magnifiques plages et son
incontournable dune du Pyla, qui attire chaque année
des centaines de curieux ou d’amoureux de la nature. Moins connu, la patrimoine
archéologique de la région ne suscite malheureusement pas beaucoup d’intérêt,
et cela par manque de médiation auprès de la population et des touristes. Et
pourtant… Il y a bien des choses à découvrir sur la côte atlantique !
Les nécropoles
du Premier Age du Fer en font bien sûr partie. Elles jalonnent de manière quasi
systématique les bords de la Leyre, seul fleuve du réseau hydrographique
landais, et se développent sur le nord-est du bassin d’Arcachon, le long de
petits ruisseaux (figure 1).
Figure 1 : situation des ensembles funéraires.
Ces nécropoles ont été pour la
plupart fouillées dès le 19ème siècle par un érudit local, du nom de Bertrand Peyneau. Ce dernier entreprit de nombreuses campagnes
archéologiques auxquelles il participa activement. Mais il ne s’intéressa pas
qu’à la protohistoire et exploita les sites archéologiques de sa région quelle
que soit leur datation. A la suite de ses travaux parut en 1926 un ouvrage de
synthèse intitulé « Découvertes archéologiques en pays de Buch ».
Les nécropoles n’intéressèrent
à nouveau les chercheurs que dans les années 1970, lorsque Jean-Pierre Mohen et André Coffyn réalisèrent
un inventaire du mobilier et réunirent ce dernier au Musée Océanographique et
Archéologique d’Arcachon. L’étude des objets découverts en fouille leur permit
de cerner un peu plus clairement la chronologie et d’appréhender globalement
les pratiques funéraires.
Le paysage landais :
une entité géologique particulière.
La question de la
reconstitution des paysages anciens.
Une bonne
compréhension de l’occupation du sol implique la connaissance (dans la mesure
du possible) des paysages anciens. Un paysage n’est pas une entité
stable : il évolue au cours du temps parfois de manière très importante,
ce qui nous oblige à prendre en compte de nouveaux paramètres dans notre
tentative de cerner les populations du passé. En effet, à paysage différent,
contraintes physiques différentes : les groupes humains devaient donc
vivre avec des contraintes différentes de celles que l’on connaît aujourd’hui.
Ces contraintes
couvrent divers domaines :
- l’évolution du trait de côte.
- la variation du niveau marin
- la présence ou non d’un cordon
dunaire sur la côte atlantique.
- la présence d’épandages sableux.
L’évolution du niveau
marin et du trait de côte.
L’évolution du
niveau marin est un paramètre important dans la reconstitution des paysages
anciens. Elle a notamment des conséquences sur le trait de côte. A l’heure
actuelle, nous savons que le niveau de la mer est monté de -120 mètres à -12
mètres entre 16000 et 4000 avant J.-C. Toutefois, les schémas qui nous sont
généralement présentés montrent une évolution linéaire dans l’évolution du
niveau marin, mais nous savons que des micro-variations
ont dû intervenir durant cette période. L’évolution serait alors plutôt en
« dents de scie ». Nous ne
pouvons donc pas faire de conclusions concernant ce paramètre.
En ce qui
concerne le trait de côte, les choses ne sont pas plus claires. Nous savons
seulement que l’aspect rectiligne de la côte est récent puisqu’il date du
« Petit Age Glaciaire », qui sévit entre 1450 et 1850.
Pour les
périodes antérieures, nous ne pouvons qu’imaginer un trait de côte plus découpé, peut-être
semblable à celui qui existe aujourd’hui en Charente maritime, au niveau du
marais Poitevin et des marais de Rochefort. Pour des périodes reculées, nous
pouvons avancer l’hypothèse d’un rivage plus à l’ouest, ce dernier ayant évolué
au fil de la remontée du niveau marin.
L’idée de
reconstituer le trait de côte par la cartographie des sites archéologiques
n’est pas valable. En effet, souvent, ce genre d’hypothèse se base sur l’étude
des sites à sel, mais, comme l’a montré Luc Laporte en travaillant le marais de
Rochefort, ce type de site peut tout à fait se trouver en bord de marais,
c'est-à-dire plus à l’intérieur des terres.
Les épandages sableux et
les dunes littorales.
La côte
aquitaine est caractérisée par un cordon dunaire important qui s’avance à
l’intérieur des terres. La plus célèbre de ces dunes, la dune du Pyla, mesure 105 mètres et reste la plus haute d’Europe.
Durant l’année 2003, les chercheurs ont réussi à prouver l’existence de deux
générations de dunes, grâce à une étude par IRSL (luminescence infrarouge
stimulée). Il était généralement admis que la mise en place des dunes datait de
la Préhistoire. Cependant, l’étude par IRSL a permis de montrer que la première
génération de dunes datait du Haut Moyen-Age, entre
500 et 1000. Cette dernière aurait ensuite été recouverte par la forêt. Puis,
durant le Petit Age Glaciaire, la seconde génération de dunes se serait
installée, donnant à notre côte cet aspect rectiligne. Ces dunes ont été fixées
par l’implantation de la forêt des Landes dès 1801, sous l’impulsion de
Napoléon Bonaparte.
Figure 2 : la dune du Pyla, d'après Tastet, 2004.
Ces nouvelles datations nous
obligent à nous poser la question de l’existence de dunes à l’époque qui nous
intéresse. Grâce aux études géologiques, on a pu déterminer deux périodes
d’épandages sableux éoliens. La première a eu lieu entre 2000 et 1000 avant
J.-C. et est visible dans le médoc et à la dune du Pyla.
La seconde, plus discrète, n’est visible qu’au Pyla.
Toutefois, cela n’empêche pas
l’existence de dunes, qui auraient été érodées par le vent et par la mise en
place de dunes postérieures. Mais il semble également vraisemblable que le
climat de l’époque ait empêché leur création. Quoi qu’il en soit, les données
sont trop incomplètes et l’on ne peut avancer que des hypothèses.
Les pratiques funéraires au Premier Age du Fer.
Le pays de Buch au Premier Age du Fer est caractérisé par deux types
de structures funéraires : les tumulus et les tombes en fosses.
Les
tumulus
Leur taille
varie entre 8 et 34 mètres. Leur hauteur ne peut être appréhendée avec
certitude, l’érosion ayant joué un rôle très important dans notre zone d’étude.
Les tumulus
sont parfois creusés, avec une profondeur variable. Cela nous permet de
distinguer deux groupes de tertres : ceux dont la profondeur est
inférieure à 0,50 mètres, et les autres, creusés jusqu’à l’alios, c'est-à-dire
ayant une profondeur avoisinant 0,50-0,60 mètres. Un tumulus sur les 39
structures recensées ne semble pas avoir été creusé.
Trois tumulus
présentent également la particularité d’abriter des structures en garluche mais nous ne connaissons pas l’organisation des
blocs les uns par rapport aux autres. Ce sont trois structures regroupées qui
semblent se rapprocher des structures découvertes en Médoc. Quelques tumulus
sont entourés d’un fossé.
Ces
caractéristiques ont amené à la création d’une typologie des structures
tumulaires :
- Type 1a : creusement peu profond
- Type 1b : creusement peu profond + garluche
- Type 2a : creusement profond (0,50 m minimum)
- Type 2b : creusement profond + fossé
- Type 3 : non creusé
Les tombes
sous tumulus sont relativement peu nombreuses comparées au tombes en fosses. Au
total, seules 48 tombes sous tumulus ont été découvertes, contre 90 tombes en
fosses, alors que seulement 5 nécropoles de tombes en fosses ont été mises au
jour, contre 10 ensembles funéraires concernant les tumulus.
Les tombes
en fosse
Les tombes en fosses sont moins
bien connues que les structures tumulaires. Malgré la fouille méthodique d’une
nécropole de ce type par Bertrand Peyneau, elles
n’ont généralement été fouillées que dans le cadre de fouilles préventives
datant des années 1970. Les dernières campagnes préventives concernant ces
nécropoles en fosses, datées de 2002, n’ont pas permis la fouille des
sépultures : ces dernières ont seulement été repérées. Nous n’avons donc
pas pu tenter de typologie des fosses.
Certaines de ces tombes sont
parfois entourées de structures généralement en garluche.
Ces structures peuvent, dans certains cas, entourer plusieurs sépultures. Mais
la mauvaise conservation de ces « enclos » de pierres ne nous permet
pas toujours de les mettre en relation avec les tombes. Il arrive également
qu’ils semblent être en relation avec des fosses remplies de charbons de bois,
qui n’ont que très rarement été fouillées et n’ont généralement livré que
quelques tessons. Ces fosses sont parfois interprétées comme des ustrina (= fosses crématoires) mais la taille de certaines
ne semble pas suffisante pour les interpréter de cette manière.
Les tombes plates sont encore
assez mystérieuses, et nous ne connaissons pas le genre de structures qui
pouvait les recouvrir : certains chercheurs avancent l’hypothèses de
petits tumulus ceints par des couronnes de pierres. Cela semble plausible pour
les enclos de pierres réguliers mais une des nécropoles de notre zone d’étude a
livré des enclos irréguliers, dont l’entrée semble indiquée par des bornes de
pierres. Nous ne savons pas encore s’il s’agit de pratiques funéraires
différentes.
Chronologie des ensembles funéraires.
L’étude du
mobilier archéologique nous a permis de définir 3 phases chronologiques :
Figure 3 : chronologie du mobilier
Phase 1 : 800-650
avant J.-C.
La première
phase est caractérisée par un nombre important de sépultures en fosses. Sur les
46 tombes en fosses datées, 24 appartiennent à cette phase chronologique.
Seules 13 tombes sous tumulus ont été attribuées à cette phase, sur un total de
30 tombes datées.
Cette phase
est la plus souvent caractérisée par la présence d’urnes cinéraires à petit
pied creux et à grand col évasé. Généralement, un couvercle à cannelures
internes recouvre l’urne, à l’intérieur de laquelle se trouve parfois un petit
vase accessoire dont la fonction n’est pas encore clairement définie.
Le mobilier métallique est très rare (3 tombes) et n’a pu être identifié qu’une
seule fois : il s’agissait d’une épingle de type pyrénéen à enroulement
vertical et anneau.
Comme le
montre la figure 3, plusieurs types d’urnes, de couvercles et de vases
accessoires coexistent. Cependant, le manque de données archéologiques nous
empêche d’y voir un traitement différentiel lié au rang social du défunt.
Phase 2 : 650-520
avant J.-C.
La phase 2 est
caractérisée par des urnes élancées de grande taille. Les divers types sont
morphologiquement très proches et ces urnes sont donc très facilement
reconnaissables. Les couvercles ne présentent plus de cannelures. Les vases
accessoires revêtent des formes variées. Le mobilier métallique est toujours
peu fréquent mais le nombre d’objets métalliques par sépulture semble plus
important qu’à la période précédente. Il se compose de parure annulaire
(torques et bracelets) et vestimentaire (fibules et épingles). Les torques et
bracelets sont d’ailleurs caractérisés par des extrémités bouletées.
Les tombes
sous tumulus sont au nombre de 10 ; 3 d’entre elles possèdent du mobilier
métallique. Les tombes en fosses restent majoritaires : il en existe 14 et
aucune ne possède de mobilier métallique.
Phase 3 : 520-430
avant J.-C.
La troisième
phase est la moins représentée, avec au total 13 sépultures. Cependant, un type
de sépulture nouveau apparaît, en rapport avec le monde guerrier. Ces tombes
sont caractérisées par des urnes à fond cupulé et un
col à peine ébauché, et sont généralement décorées. Un riche mobilier
métallique les accompagne : épée en fer avec décor de poignée en bronze,
éléments de lances, fibules en bronze et fer. Là encore, on trouve différents
types de vases, qu’ils concernent les urnes cinéraires, les couvercles ou les
vases accessoires.
A l’heure
actuelle, seules les sépultures à vocation guerrière
ont été identifiée sous les tumulus. Un seul exemple de ce type de tombe existe
dans les nécropoles de tombes en fosse. Cette phase a également livré du
matériel annonçant le passage au deuxième Age du Fer.
Conclusion
Les nécropoles
de la région d’Arcachon semblent donc se développer entre 800 et 430 avant
J.-C. On voit coexister deux types de nécropoles : les tombes simples sous
tumulus et les tombes en fosses à entourage de pierres. Il semble que les
nécropoles de tumulus se soient surtout développées durant la 3ème
phase d’occupation, avec l’apparition nette de tombes témoignant de la vocation
guerrière du défunt. Les périodes antérieures n’ont malheureusement pas livré
de mobilier assez important pour que l’on puisse déterminer différentes classes
sociales au sein de ces nécropoles. De plus, il est possible que des objets ou
offrandes en matériaux périssables aient existé à l’origine. Nous ne pouvons
donc pas prétendre, à la fin de cette étude, avoir compris les critères de
discrimination sociale au sein des sépultures, ni même ceux de l’organisation
générale des nécropoles. Cependant, nous avons réussi à mieux appréhender les
pratiques funéraires et la chronologie des sépultures.
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le volume de chaque partie, nous vous conseillons de faire click droit avec la
souris, puis « enregistrer la cible sous »)
Petite
bibliographie pour les curieux :
MOHEN
(J.-P.) :
1972 :
« Rapport entre les habitats et les nécropoles du Premier Age du Fer en
Gironde », in Actes du 1er
colloque archéologique de la 4ème section de l’Ecole Pratique des
Hautes Etudes, Paris, 1972, Paris 1975, p.32-36.
1980 : L’Age
du Fer en Aquitaine, du VIIIe au IIIe
siècle avant J.-C., MSPF, 14, Paris, 1980.
MOHEN (J.-P.), COFFYN (A.) :
1970
: Les nécropoles hallstattiennes du bassin
d’Arcachon, vol. XI, Bibliotheca Praehistorica Hispana, Madrid, 1970.
PEYNEAU
(B.) :
1926 (a) : Découvertes
archéologiques dans le pays de Buch, Tome 1 : depuis l’âge de la pierre
jusqu’à la conquête romaine, Bordeaux, 1926.
1926
(b) : Découvertes archéologiques
dans le pays de Buch, Tome 2 : depuis la
conquête romaine jusqu’à nos jours, Bordeaux, 1926.
TASTET (J.-P.) :
2004 :
Le Bassin d’Arcachon et la dune du Pyla : Sédimentologie et stratigraphie de la vallée
incisée de la Leyre et 4000 ans d’activité éolienne sur la côte atlantique,
extrait modifié du livret-guide d’excursion, 9ème
Congrès Français de Sédimentologie, Bordeaux, 11-13 octobre 2003, Bordeaux,
2004.
THIERRY
(F.) :
2002 :
Archéologie en Buch et en Born : des gaulois
aux wisigoths, société historique et archéologique d’Arcachon, 2002.
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